REMUE-MENINGES #3
Pour la journée mondiale de la bipolarité, des Francs-Comtois atteints de la maladie témoignent à cœur ouvert. • © JEAN-FRAN?OIS FREY / MAXPPP
Publié le 30/03/2025 à 06h05, écrit par Hugo Courville
Arrivé dans leur vie au moment où ils s'y attendaient le moins, plus de 600 000 personnes ont reçu un diagnostic médical attestant d'une bipolarité en France. Vie de tous les jours, acceptation par leur famille et traitement à vie, ils témoignent de leur quotidien pour mettre fin au jugement de la population sur les troubles qu'ils endurent.
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C'est une maladie psychiatrique chronique caractérisée par des troubles récurrents de l'humeur. La bipolarité touche près de 2,4 % de la population en Europe contre entre 1% et 2,5% en France. Ce sont donc entre 650 000 et 1 600 000 personnes qui sont touchées par cette pathologie dans l'Hexagone.
Pour la journée mondiale de la bipolarité, le 30 mars, des Francs-Comtois ont décidé de sortir du silence pour sensibiliser à cette maladie. Une façon de faire avancer le monde des personnes atteintes de bipolarité, qui se sentent encore jugées par la population.
“Au départ, on me disait que j'avais des troubles de la personnalité borderline”
Pour la majorité des patients définis comme bipolaires, c'est dans le jugement de l’autre que les choses doivent avancer. Diane est aide-soignante en Suisse et habite dans le Doubs. Travailleuse frontalière depuis des années, elle a été diagnostiquée bipolaire en 2021. “Adolescente, je me suis toujours sentie différente. J'étais souvent en dépression selon les diagnostics. Au départ, on me disait que j'avais des troubles de la personnalité borderline, que mes émotions étaient instables, jamais on ne m'avait évoqué la bipolarité au départ”.
Quand on a mis des mots sur mon mal, c'était un soulagement. Je m'étais tellement sentie différente toute ma vie.
Diane
Atteinte de bipolarité
De l'autre côté du Doubs, Mathieu, 45 ans et ancien chargé de ventes dans une entreprise Suisse, a connu la même problématique. “J'ai eu des crises ponctuelles et plusieurs hospitalisations. Tout a commencé en 2003. J'avais 22, 23 ans et j'ai fait des bouffées délirantes. Je ne me sentais plus moi-même. Je ne connaissais pas la maladie et je pensais que ça allait s'estomper. Quatre ans plus tard, j'étais diagnostiqué bipolaire, c'était un soulagement”, affirme-t-il.
“J'avais toujours des sujets de discussion, alors que je suis réservé”
Mathieu est père de deux enfants. Il apprend encore aujourd'hui à vivre avec la maladie, 18 ans après son diagnostic. “Ce sont des phases d'euphorie. On se sent en superforme. Je ne dors pas, je parle beaucoup. J'ai toujours des sujets de discussion, alors que je suis réservé”, détaille le quarantenaire, qui enchaîne : “Par contre, il m'arrive d'être en opposition avec les autres. On se sent invulnérable et il ne faut pas être contrarié”.
J'avais l'impression que j'étais destiné à de grandes choses, genre Président de la République.
Mathieu
Atteint de bipolarité
Un mental qui change du tout au tout, des situations de détresse, des périodes de crise et de dépression. Diane et Mathieu l'ont vécu tous les deux à leur façon. Leurs proches, dans l'incompréhension au départ, ont dû s'adapter, mais l'écoute et l'accompagnement ont prévalu. “J'avais honte de la dire à ma famille, mais désormais, c'est ma maman qui me pousse à aller à l'hôpital quand ça ne va pas”, explique Diane
Pour Mathieu, de son côté, “tout le monde a tout de suite accepté”. “On essaie d'être le plus normal possible, malheureusement mes enfants [de 9 et 11 ans] ont subi deux de mes crises maniaques, mais au jour le jour, on essaie de faire face pour eux, afin qu'ils aient la meilleure éducation possible. Je pense que sans eux, je ne serais peut-être plus de ce monde. Lors des crises, mes parents faisaient attention à ce que je ne fasse pas n'importe quoi et lors de mes dépressions, ma famille m'a beaucoup soutenue”.
“Lorsqu'on est en phase maniaque, on fait des choses irrationnelles”
Depuis plusieurs années, Mathieu suit un traitement lourd. Des médicaments qui le mettent dans un état second, et le font aller mieux, même si des effets négatifs se distinguent. “J'ai du mal à discuter et je m'isole un peu plus socialement, alors que j'avais beaucoup de contacts plus jeune. Je dois aussi faire face à la dépression. À côté de ça, j'ai perdu mon travail après ma dernière crise et j'ai du mal à en retrouver, parce que j'ai un gros manque de confiance en moi”, affirme le quadragénaire. Une situation de laquelle le Doubien aimerait sortir, mais avec ses crises, il n'arrive parfois pas à se contrôler.
J'ai un traitement assez fort qui m'empêche de refaire des crises, mais qui me met un peu le cerveau en pause.
Mathieu
Atteint de bipolarité
“Lorsqu'on est en phase maniaque, on fait des choses irrationnelles, qu'on regrette par la suite, mais on ne se contrôle pas sur le moment. S'ensuit la dépression que l'on subit et que les gens ne comprennent pas forcément. Mais c'est la même chose, on n'est pas maître de soi”, affirme Mathieu.
“Il faut évoluer, ce n'est pas pour autant que nous sommes fous”
Pour ces deux personnes atteintes de bipolarité, parler de leur maladie est devenu leur mission. Bien que ceux-ci aient des différences, ils veulent faire entendre qu'ils sont comme les autres. “Je suis divorcée, j'ai un enfant, mais j'ai aussi une vie”, affirme Diane, qui détaille également que “c'est très dur. On passe par plein d'étapes, du psychologique au physique, en passant par le moral. Il n'y a que quand on est stabilisés que ça va mieux. Avec un bon traitement, on peut vivre normalement”.
Il y a trop de jugement. On avance, mais il faut en parler pour sensibiliser les gens.
Diane
Atteinte de bipolarité
“Les bipolaires se sentiront moins isolés” si les langues se délient, affirme Mathieu. “Pour que les gens dans le même cas se sentent moins seuls, il faut en discuter. Quand je lis des témoignages de cas similaires, ça me rassure. Je me dis que je ne suis pas le seul et cela me permet de moins culpabiliser de ma situation”, complète le quadragénaire.
Du côté de Diane, la mère de famille veut porter haut les valeurs des personnes atteintes de troubles de la bipolarité. “Comme tout le monde, je fais plein de choses. Je suis intelligente et je travaille à côté. Je pense que je fais plein de choses que certaines personnes ne font pas. Désormais, il faut évoluer, la maladie ne fait pas pour autant de nous des fous”.